Madagascar pourrait prochainement devenir membre de l’Ohada. Mais les avis sont totalement partagés quant au franchissement de ce pas.
L’évènement économique du mois est – et demeure – le « signal fort » envoyé du Carlton le 8 février dernier sur « l’opportunité (ou non) de l’adhésion de Madagascar à l’Ohada ». Un tel thème, énoncé comme tel, ne dit peut-être rien qui vaille aux non-initiés de l’Économie en général, et du climat des affaires en particulier, ou de la Justice en général et de la justice commerciale en particulier. Mais à la seule évocation de ces deux tableaux, la grande conférence d’il y a huit jours sur les bords du lac Anosy fera date dans les annales du développement économique de la Grande île.
Que signifie le sigle Ohada ? C’est « l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires ». Cette organisation supra-nationale, créée le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Maurice) par quatorze états africains (dix huit aujourd’hui, et sans doute dix neuf avec l’adhésion prochaine du Maroc), a pour mission de garantir la sécurité juridique et judiciaire dans l’environnement des affaires en y instaurant des règles simples, modernes et adaptées, en favorisant une justice indépendante et fiable, tout en encourageant le recours à l’arbitrage pour le règlement des différends.
Nécessité d’attirer les investisseurs. Bien que la mission de l’Ohada soit juridique, sa finalité est par contre ô combien économique, en ce qu’elle constitue un moyen de promouvoir un droit des affaires attractif pour les investisseurs en général, et d’attirer les investissements directs étrangers en particulier.
Rien d’étonnant à ce que l’évènement du Carlton ait attiré pas moins de 120 participants, invités par le cabinet MCI ou Madagascar Conseil International, et le consortium Ferdinand Aho qui ont, en tant qu’experts et consultants, mené de concert l’étude confiée par l’Union européenne au titre de son programme d’appui à l’emploi et à l’intégration régionale (Procom). Des invités au premier rang desquels la ministre et garde des Sceaux Élise Alexandrine Rasolo, le directeur général de l’Edbm Eric Robson Andriamihaja, le président du Syndicat des industries de Madagascar Fredy Rajaonera, et le représentant de l’ambassadeur de l’U.E. Antonio-Sanchez Benedito Gaspar.
Un sujet incandescent ? Mais cette assistance « select et nombreuse » a surtout été dominée par les représentants du secteur public et par une forte majorité de la communauté judiciaire, tous vivement intéressés par le sujet déjà quelque peu incandescent par nature, d’autant que les gouvernements successifs de Madagascar depuis 1993 ont toujours tourné le dos à l’Ohada. Dans le cadre des discussions avec le Fmi et celui du dialogue public-
privé, le Président Hery Rajaonarimampianina a fait pour la 1ère fois une déclaration d’intention de Madagascar d’adhérer à l’Ohada, et d’annoncer, dans la foulée, qu’une étude toutefois devra être préalablement conduite pour savoir si des besoins et des attentes existent.
D’où cette étude menée rondement depuis deux ans par MCI et le consortium Ferdinand Aho, car le climat délétère des affaires à Madagascar ne permet pas l’épanouissement du secteur privé. Il constitue un obstacle majeur à l’arrivée (tant souhaitée) des investisseurs dans la Grande île, ce qui permettrait en particulier de résorber le chômage et de booster la croissance. Des enquêtes ont alors été menées dans 5 villes de Madagascar, où des sondages ont été effectués dans les règles de l’art.
Des intervenants ès qualités. Trois interventions « techniques » de haute volée ont marqué cet évènement hors du commun au Carlton. D’abord de Ferdinand Aho, ancien conseiller du secrétariat de l’Ohada qui s’est livré à une présentation limpide et détaillée de l’Ohada, ainsi qu’à une présentation non moins judicieuse de l’étude confiée aux experts et consultants issus des deux cabinets partenaires. Ensuite, le directeur juridique de MCI Véronique Andriambelo a mené une analyse comparative du droit Ohada et du droit malgache des affaires. Enfin, le manager associé de MCI, Raphaël Jakoba a été le plus attendu des intervenants pour « la perception de l’Ohada à Madagascar », et surtout pour dresser « les perspectives et les recommandations ad hoc », en mettant en exergue tant les arguments de ceux qui sont pour l’adhésion que les points de vue de ceux qui s’y opposent.
Mais avant l’intervention de celui-ci, la prestation de Véronique Andriambelo n’a pas manqué de captiver l’attention générale, car le droit malgache s’est beaucoup inspiré du droit Ohada. Elle y a égrené les points de similitude, notamment pour ce qui est de notre droit commercial général, du droit des sûretés, des procédures collectives d’apurement du passif et du droit des sociétés. Elle a judicieusement fait remarquer que « le législateur malgache n’a pas hésité à adapter ce droit Ohada aux spécificités malgaches, telles que le contrat traditionnel dit “fehivava” ». Mais l’intervenante a également traité des divergences entre les deux « droits ». Le droit Ohada a pris une longueur d’avance sur le droit malgache (transports de marchandises par routes), et une longueur de retard (arbitrage et comptabilité).
Bouquet final très attendu. Quant aux « perspectives et recommandations », le bouquet final tant attendu par l’assistance, Raphaël Jakoba a indiqué que les experts chargés de l’étude ont opté pour le moment pour une « ligne médiane ». Car leur analyse a montré qu’il y avait deux camps qui ont à peu près le même poids : le secteur privé et le secteur public, notamment l’appareil judiciaire composé de magistrats et d’avocats/conseils, qui redoutent une perte de leur souveraineté. En effet, les arrêts des cours d’appels malgaches feraient l’objet, en cas d’adhésion à l’Ohada, d’un pourvoi en cassation auprès de la cour commune de Justice et d’arbitrage de l’Ohada à Abidjan. Pour le secteur privé, ce pourvoi en cassation permet de lutter efficacement contre la corruption, alors que pour les juges judiciaires, il s’agirait d’une immixtion intolérable dans leur souveraineté. On a ainsi compris combien incandescent est le sujet, d’où des positions tranchées de part et d’autre.
Dans tous les cas, les débats ont été animés. Entre autres, grâce aux ténors comme l’ancienne ministre de la Justice Bakolalao Ramanandraibe, ou l’ancienne présidente de cour Nelly Rakotobe et du représentant du GEM Noro Andriamamonjiarison, ainsi que Zakazo Ranaivoson, conseiller fiscal. En définitive, la position équilibrée des experts est dictée par le souci d’imposer un acte d’autorité imposant un choix politique. L’adhésion à une organisation comme l’Ohada relève d’une décision politique, en l’absence d’un minimum de consensus entre les forces vives de la Nation, en l’occurrence le secteur public et le secteur privé. Au stade actuel, 70% du secteur privé sont prêts à rejoindre l’Ohada, et 80% des juges se dressent contre. Dans ce contexte, les experts estiment qu’un minimum de consensus doit être recherché au préalable.
Merci à l’U.E. Les participants ont rendu grâce à l’Union européenne d’avoir suscité et financé cette étude ou ce débat, permettant ainsi aux responsables étatiques malgache de ne pouvoir éventuellement dessiner le simple qu’après une étude approfondie du compliqué. Nul doute que les idées égrenées lors de ce débat auront donné un nouveau souffle à ceux qui espèrent enfin un climat des affaires apaisé et générateur de performances économiques à Madagascar, et ce d’autant que les acteurs tant du secteur public que du secteur privé ont marqué leur attachement à la liberté individuelle, aux principes de responsabilité et aux principes de solidarité.