Les derniers mois mettent les magistrats malgaches sur le devant de la scène, et pas nécessairement à leur avantage. Après les juges de la Cour électorale spéciale (CES) qui ont pris les décisions que l’on sait, avec les conséquences politiques que l’on sait, l’histoire du moment est cette altercation entre une femme magistrat et l’ex-Ministre de la Télécommunication (photo), pour une banale histoire de parking bloqué. Du fait de l’article 226 du Code pénal malgache (PDF), je ne me permettrais pas de commenter cette décision de justice, car ce genre d’acte serait plutôt périlleux face à un pouvoir judiciaire du Tiers-monde.
Par contre, sans commenter le verdict, mais en se basant sur les témoignages disponibles, on peut se poser des questions en complément de tous les points déjà abordés de façon pertinente par Patrick A. dans son édito de samedi dernier. C’est la dame qui a agressé physiquement l’ex-Ministre de la Télécommunication, lequel s’est par la suite défendu. Voilà donc un magistrat, ayant étudié le Droit, chargé de l’appliquer, et comme l’ont fait remarquer plusieurs internautes sur Facebook, est membre de l’Association des jeunes malagasy pour la protection des Droits de l’homme, mais qui en arrive à venir aux mains pour une dispute de parking. Comment croire qu’une personne incapable de se maîtriser ainsi puisse appliquer le principe de sérénité qui est fondamental à l’exercice de la justice ? De plus, alors que c’est la dame qui avait bloqué la place de parking, elle s’est permis de répondre ainsi aux reproches effectués par l’ex-Ministre de la Télécommunication : « même si tu es en colère, qu’est-ce ce que tu peux faire ? ». Cette arrogance en situation de tort résulte-t-elle d’une question d’éducation, ou bien du sentiment de toute-puissance et d’impunité dû à son statut ?
Au-delà de l’anecdote de fait divers que représente ce qui passera à la postérité comme l’affaire l’ex-Ministre de la Télécommunication, c’est une réflexion sur le système qui est devenue nécessaire pour se protéger de l’arbitraire et de l’impunité grandissantes de la part de certains tenants de l’autorité publique. Et ce, même si l’ambiance de crise post-coup d’État, avec ce que cela implique comme impact sur l’état de droit, n’offre pas le meilleur contexte.
Une nécessaire réflexion sur le système.
Selon de nombreux avocats, la plainte pour « coups et blessures » est devenue l’arme favorite des Malgaches qui veulent nuire à d’autres, en s’appuyant sur des médecins véreux pour produire, moyennant finances, le certificat médical adéquat. À partir de ce document, c’est la porte ouverte au racket, souvent avec l’aide de ripoux qui peuvent également y rajouter la pression d’un « outrage à agents dans l’exercice de ses fonctions » : soit on se montre « conciliant » et on met la main au portefeuille, alors la plainte est levée ; soit on n’obtempère pas, et l’affaire suit son cours jusqu’à la clé de voûte du processus d’intimidation : la détention préventive, mesure exceptionnelle devenue systématique à Madagascar. L’article 309 du Code pénal malgache prévoit qu’en cas d’incapacité de travail personnel pendant plus vingt jours, la peine peut aller jusqu’à cinq ans de prison. Je m’interroge sincèrement : quel genre de blessure faut-il pour occasionner vingt (ou même douze) jours d’arrêt de travail ?
Parmi les témoignages qui sont actuellement partagés par certaines mailing-lists, il y a celui de Monsieur R. qui eut « l’imprudence » il y a quelques années d’engueuler vertement son gardien, lequel se permettait des libertés inacceptables quand le maître des lieux avait le dos tourné. Vexé d’avoir été ainsi réprimandé, ce gardien (ancien membre des forces de l’ordre, et accessoirement proche parent d’un fonctionnaire du Ministère de la justice) activa ses réseaux. Monsieur R. fut donc convoqué au commissariat « pour affaires le concernant », car le gardien (ancien instructeur de sports de combat) avait porté plainte pour … « coups et blessures » contre son employeur, et lui a tracé un chemin direct vers la case prison, avec la complicité d’amis policiers et magistrats. Mais il semble que dans ce cas, l’abruti de gardien se soit attaqué à plus fort que lui.
L’actualité récente invite à remettre à l’honneur une partie du discours du bâtonnier lors des Assises nationales de la Justice en février 2012.
« Et nous ne devons pas nous voiler la face, la corruption gangrène notre système judiciaire et nous devons tous réagir par des mesures drastiques. À cette tribune, M. Le Premier Ministre a dénoncé l’existence de magistrats véreux. Nul ne peut hélas en disconvenir. Le mal est profondément ancré dans tout le système. La corruption commence dès le concours d’entrée à l’ENMG, se poursuit dans les couloirs et bureaux des juridictions jusqu’à guider les décisions judiciaires. La corruption remonte même aux plus hautes instances de la justice ».
Rappelons les données d’un rapport sur la corruption à Madagascar présenté par le cabinet Casals & Associates (2006) :
60 pour cent des usagers et 48 pour cent des agents de l’État jugent que les pots-de-vin visant à changer les décisions de la justice sont courants (p.ix).
Les ménages malgaches rapportent que le montant trop élevé des pots-de-vin et l’influence de la corruption sur les décisions de justice représentent le plus grand obstacle au recours aux tribunaux (p. x).
Selon les fonctionnaires eux-mêmes, les magistrats, les hommes d’affaires, les dirigeants des partis politiques et la police semblent être les acteurs nationaux les moins honnêtes (p.32).
La situation est connue des partenaires techniques et financiers de Madagascar. Le Document de stratégie-pays de l’Union européenne à Madagascar pour la période 2008-2013 affirme que malgré des efforts, « le niveau de corruption dans le pays n’a pas encore sensiblement baissé, notamment dans les secteurs de la police, de la justice, des domaines, des services de communes urbaines et des impôts »(pp. 4-5).
Les autorités judiciaires malgaches elles-mêmes reconnaissent l’existence d’un problème de crédibilité et de corruption de la Justice, et affirment toutes vouloir lutter contre ce phénomène (sic). Parmi les déclarations d’intention, on citera celle de la Ministre Christine Razanamahasoa lors de la sortie de promotion des élèves-greffiers en avril 2013, et l’intervention sur le sujet de Ranary Robertson lors de son installation à la tête du Parquet général de la Cour suprême. Mais la palme reviendra sans aucun doute à l’interview sur RFI d’Arnaud Marius Auguste, président du Syndicat des magistrats de Madagascar (SMM), et qui a eu le courage de reconnaître « qu’effectivement il y a eu des imperfections, des erreurs, dans le comportement des magistrats ou à travers les décisions rendues. Nous sommes conscients aujourd’hui qu’il est temps de changer tout cela ».
Mais ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est de savoir si après toutes ces belles déclarations d’intention, les choses ont changé : le SMM et M. Ranary Robertson sont-il toujours scotchés devant le Mur des lamentations, ou bien ont-ils avancé vers celui des actions ? Rien que l’actualité récente nous invite à rire jaune.
Sur les fora internet et les discussions de salon, certains arguent que les magistrats ne sont pas tous corrompus. Je veux bien le croire. Mais dans ce cas, que font et que disent ces héros de la Magistrature quand ses zéros bafouent manifestement le Droit ? La Magistrature malgache ronronne toujours en silence, même devant les dérapages perpétrés par les siens, et l’expérience montre qu’elle ne se réveille que dans deux cas : soit pour faire une grève de revendication pour ses avantages, soit parce que l’un des siens est victime d’une injustice ou d’assassinat (comme dans le cas du juge Rehavana à Toliara).
Ce sont des magistrats qui ont adoubé le coup d’État de février 2002. Ce sont des magistrats qui ont validé le coup d’État de 2009. Ce sont des magistrats qui siègent au sein de la CES. Et cette partie émergente de l’iceberg du Droit public ne doit pas faire oublier ce qui se passe dans les tribunaux civils depuis (au moins) les fables de la Fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » (Les animaux malades de la peste). Sous Rajoelina, mais aussi sous Ravalomanana ou Ratsiraka, ce sont des magistrats qui servent de carpette au pouvoir exécutif pour intimider les opposants et les journalistes à travers procès-bidon et accusations fallacieuses. Beaucoup de magistrats, qui s’agitent derrière la bannière des Droits de l’homme pour se donner bonne conscience, ne sont pas nécessairement les plus intègres.
Pistes pour que le Droit soit moins tordu.
Pour ceux qui aiment faire l’intéressant à exiger qu’un papier propose des solutions, relire l’article du SEFAFI : Quelle justice pour le présent et l’avenir ?
Pour ma part, il y a donc deux points que je laisse à la sagacité de la société civile et des citoyens.
Primo, une réflexion sur les formules de recours contre les médecins véreux, les policiers ripoux et les magistrats corrompus.
Quand un justiciable se retrouve face à de telles personnes dans une procédure, quels sont les recours possibles et non pollués par les réseaux corporatistes pour protéger le citoyen de l’arbitraire, ce qui est une des fonctions du Droit ? Autre exemple, quand un certificat médical est manifestement bidon, par exemple parce que la personne censée être frappée d’incapacité de travail de plus de dix jours, est pourtant aperçue gambader allègrement en ville, par quelles voies peut-on exiger une contre-expertise ?
Secundo, une réflexion plus générale sur la qualité de certains hauts fonctionnaires.
La corruption dans les concours administratifs est un secret de polichinelle. Cela pose deux problèmes. Tout d’abord, le recrutement dans certains corps de gens qui n’ont pas nécessairement le niveau requis de compétence ou de valeurs morales. Ensuite, il y a un système qui perpétue la corruption. Plus les fonctions en jeu peuvent se révéler juteuses à la sortie de l’École concernée, plus le cours de l’arrosage à l’entrée est élevé. Le discours du bâtonnier cité plus haut mentionnait l’École nationale de la magistrature et des greffes – ENMG, mais elle n’est pas la seule à mettre en cause. Par conséquent, une fois en poste, certains rentabilisent « cet investissement » en monnayant l’exercice de leur fonction.
À quelque chose, malheur doit être bon. La triste expérience de l’ex-Ministre de la Télécommunication doit amener les Malgaches à se réveiller pour renforcer leur capacité à dénoncer avec force et vigueur les injustices. Wake Up Madagascar, comme diraient certains. À moins que le contexte si trouble depuis 2009 n’encourage certains à s’asseoir sur leur bougie au lieu de porter la lumière dans la Cité, et à se faire les complices éhontés de pratiques sans vergogne, soit comme auteur en agissant à l’encontre de leurs serments, soit comme complice en contemplant benoîtement les choses malsaines se dérouler, mais sans lever le petit doigt. Avant d’aller hypocritement, quelques jours après, se masturber intellectuellement les uns les autres en traçant des planches symboliques ou philosophiques, en faisant le diakona de parade, ou encore en jouant au bienfaiteur de l’humanité dans des clubs de service : gloire au paraître, et tant pis pour l’être. À ce rythme où les Vénérables Ponce Pilate de service laissent faire, le système judiciaire finira tellement pourri qu’on devra un jour se boucher le nez en passant devant les tribunaux.
Selon la formule consacrée, toute ressemblance du contenu de la vidéo ci-après avec des événements ou des personnes ayant existé ne serait que le fruit du hasard et une pure coïncidence. L’objectif est juste de compléter en audiovisuel la connaissance du mot après « l’approche via dictionnaire » proposée par Patrick samedi.
P.-S.
Les internautes africains et malgaches s’extasient (à juste titre) du comportement de la Sénégalaise Bousso Dramé, qui a préféré refuser un voyage tous frais payés à Paris pour protester contre le comportement des agents chargés de la délivrance des visas au consulat français de Dakar. Pendant ce temps, à Tana, malgré les avertissements, des Malgaches se pressent pour rencontrer un « juriste » (encore un) qui se propose de les aider dans les démarches d’acquisition de la nationalité française, contre six millions d’Ariary payables sans aucune garantie de résultats. Après les ouvrières qui rêvent du Liban, voilà une nouvelle espèce de pigeon à plumer, sans que qui que ce soit ne trouve à redire : ceux qui rêvent d’être vazaha taratasy. C’est bien beau de critiquer la communauté internationale, thème qui trouve toujours une bonne audience à Madagascar, mais il faudrait commencer par réflechir avant de gober les propositions du premier bonimenteur vazaha venu.